CHAPITRE PREMIER

 

 

 

Le voyage dura à peine une douzaine de minutes.

Le secteur réservé au Centre des Forces Spatiales couvrait un large espace de plus de dix mille kilomètres carrés sur la rive droite du Potomac.

Ses bâtiments cubiques étaient percés d’une multitude de baies dont la réplique infinie donnait le vertige.

Il régnait là une intense animation qui faisait penser à une fourmilière en perpétuelle activité.

C’est au milieu de ce tohu-bohu que l’hélicar se dirigea vers une énorme construction dont les murs étaient couverts de bas-reliefs taillés dans la masse et rehaussés par les effets combinés de la peinture fluorescente et des projecteurs de lumière ultra-violette.

Chaque scène était un hommage à une grande victoire remportée par les forces terrestres depuis l’avènement du Grand Empire Galactique.

Et cette année 2247 avait également apporté un nouveau bas-relief, après le dur combat qui avait opposé les forces terrestres aux unités de choc de sa Seigneurie, le maître tout-puissant de la planète Tarit[1].

Celui-là était situé juste au-dessous de l’énorme ouverture sculptée de lumières bleues et vertes, dans laquelle s’engouffra l’appareil à vitesse réduite.

Il se posa en douceur, et Seymour en descendit, puis, toujours encadré de ses « anges gardiens », il prit place dans un ascenseur pneumatique qui s’enfonça à l’intérieur du gigantesque bâtiment.

Un couloir et enfin deux panneaux d’acier qui s’écartèrent devant eux et qu’ils franchirent pour se retrouver dans une longue pièce richement décorée et dont les murs étaient garnis d’imposantes cartes célestes en colorelief.

Dan Seymour marqua un certain étonnement en reconnaissant les membres de son équipage qui venaient de se dresser devant lui.

Il y avait là Georges Spencer, qui remplissait les fonctions d’astronavigateur, un expert en électronique, le sous-lieutenant Anton Lurbeck, Peter Mervin, un chef mécanicien, et l’imposant Jeff O’Connor, second pilote, dont la bonne humeur était légendairement connue d’un bout à l’autre de la galaxie.

Seymour les salua au passage puis se figea devant un autre personnage qui se tenait immobile derrière sa table de travail.

Celui-là était le commandant David Thorn. Un grand gaillard d’une cinquantaine d’années, un vieux soldat de l’espace qui avait passé plus de la moitié de sa vie à bourlinguer dans l’univers et dont le regard lointain semblait refléter toutes les profondeurs du vide.

Seymour avait appris depuis longtemps à connaître le tempérament un peu ronchon de ce diable d’homme, pétri d’un militarisme un peu excessif, et la nervosité de son chef se traduisit une fois de plus dans le salut qu’il donna en réponse.

— Désolé d’avoir interrompu votre permission, Dan, dit-il sur un ton qui se voulait amical, mais l’ordre est arrivé dans la soirée, et je n’avais personne sous la main.

— C’est bien ce que j’ai cru comprendre, commandant.

Thorn eut un raclement de gosier. Il avait toujours admiré le calme, la froideur et l’emprise énorme que ce grand garçon possédait sur lui-même. Mais cette fausse désinvolture avait parfois quelque chose d’irritant.

Il reprit :

— Une mission urgente. Vous devez embarquer demain matin à l’aube, à bord de l’Aristote.

Il désigna les quatre hommes réunis autour de Seymour.

— Votre équipage habituel. Encore quatre permissions supprimées. Vous voyez, vous n’êtes pas le seul.

Seymour s’inclina légèrement.

— Mais il manque Ted Mason !

— Les médecins ne sont malheureusement pas à l’abri de la maladie. Votre Mason est alité avec une fièvre de Jupiter carabinée. Mais j’ai convoqué son remplaçant.

— Qui est-ce ?

— Le capitaine-major Perkins.

— Je ne le connais pas.

— Médecin et également diplômé en radiométéorologie. Un élément précieux.

— Je n’en doute pas. Nous l’attendons d’un moment à l’autre. Mais ne perdons pas de temps, voulez-vous ?

— De quoi s’agit-il, commandant ? Thorn reprit place derrière son bureau, joignit les mains et croisa les doigts avant de répondre.

— Nous sommes sans nouvelles du commandant Morgan et de son équipage. Nous avons alerté tous les postes frontières du Pourtour, mais l’Encelade reste introuvable, et c’est bien ce qui inquiète le Haut Etat-major. Des recherches ont déjà été effectuées, mais sans le moindre résultat.

— Qu’est-ce qui inquiète le Haut Etat Major ? demanda Seymour avec un léger froncement de sourcils.

Le regard de Thorn balaya le groupe des astronautes.

— Il s’agissait d’un voyage expérimental. L’Encelade a été doté d’un appareil produisant une atmosphère magnétique capable de désintégrer, sur un rayon de dix kilomètres, toutes les météorites d’une masse égale à celle d’une comète du type solaire. Vous connaissez aussi bien que moi le danger que représentent ces essaims de météorites voyageant dans l’espace, et nos désintégrateurs ne sont pas toujours assez efficaces pour éviter les déchirures catastrophiques que provoquent ces matières errantes dans la coque de nos vaisseaux. Ce nouveau champ magnétique est d’une telle intensité que les météorites, presque toujours de nature ferreuse, s’échauffent brutalement jusqu’à une température de plusieurs milliers de degrés centigrades avant d’exploser littéralement sous forme de vapeur. Les expériences faites dans notre système se sont révélées satisfaisantes, mais nous désirions surtout expérimenter le procédé dans des régions de l’espace que nous nous apprêtons à conquérir dans les années à venir. Là justement où se trouve la plus forte densité de matière cosmique voyageant dans le vide.

Il se leva, appuya sur un bouton, et indiqua une énorme carte murale qui venait de s’irradier.

Une large hyperbole en pointillés lumineux formait la limite du Pourtour, à l’intérieur duquel étaient représentées toutes les planètes appartenant à la confédération.

Le doigt du commandant se tendit bien au-delà des pointillés.

— Quelque part dans ces régions, poursuivit-il, dans la zone des «Tourbillons galactiques ».

— Par les anneaux de Saturne, s’exclama O’Connor en soufflant comme un phoque, aucune route céleste n’a encore été tracée dans cette zone inconnue. C’est un suicide.

— Il ne vous appartient pas de porter le moindre jugement là-dessus, répliqua le commandant en se retournant. Les pionniers du vingtième siècle ne possédaient pas non plus de cartes célestes. Nous leur devons néanmoins la conquête de Mars, de Vénus et de Jupiter. L’essentiel, c’est que l’entreprise ait pu être réalisée.

— Et le carburant, demanda Seymour, y avez-vous songé ?

Thorn secoua la tête à plusieurs reprises, puis revint vers la gigantesque carte murale.

— Nous disposons de quelques relais à énergie solaire tout au long du Pourtour. L’Encelade pouvait facilement faire son plein d’énergie avant de franchir les limites. Une autonomie de route de quinze jours, mais le délai est passé. Tous nos contacts par hyper ondes sont restés muets, depuis leur escale sur Kamar II, une petite planète des Pléiades, du type terrestre, et sur laquelle Morgan et ses hommes se sont ravitaillés en eau potable. Depuis, c’est le silence. Mais je crois que vous feriez bien de commencer vos recherches par cette planète.

— Avez-vous localisé le point d’émission du dernier message ?

— Morgan nous a transmis toutes les coordonnées.

— Une avarie au moment du départ, peut-être ?

— On peut le supposer. Et il est possible qu’ils aient besoin d’un secours urgent.

Thorn reprit place derrière son bureau et posa sur Seymour un regard plus pénétrant.

— Mais il se peut aussi que ce soit encore bien plus grave. Et vous comprenez maintenant l’importance de votre mission. Le générateur d’atmosphère magnétique représente également une arme spatiale d’une valeur inestimable. En aucun cas, ce prototype ne doit tomber aux mains des puissances extraterrestres contre lesquelles nous sommes en lutte pour conserver l’intégrité de notre empire galactique. Votre mission se résume à deux mots : ramener ou détruire.

Seymour approuva de la tête.

— Très bien, commandant. Je suppose que vous avez déjà établi un plan de vol pour atteindre Kamar II ?

A ce moment-là, une sonnerie retentit.

Thorn appuya sur un bouton devant lui et les panneaux d’acier s’écartèrent latéralement pour livrer passage à une créature moulée dans un impeccable uniforme pourpre des unités spatiales.

D’un bloc, Seymour et ses hommes s’étaient retournés, leurs regards ahuris braqués sur cette jeune femme qui avançait vers eux de son pas tranquille et mesuré.

Elle n’était pas très grande, avait ses longs cheveux bruns ramenés en chignon sous son petit calot rehaussé de décorations.

On n’aurait pu affirmer qu’elle était belle, mais ses traits fins et réguliers ne manquaient pas de charme. Seule sa bouche bien ourlée laissait une impression de mobilité, ce qui tranchait avec le reste du visage que l’on eût cru coulé dans du bronze.

Ce fut du moins l’image rapide qui vint à l’esprit de Seymour, tandis qu’elle fendait le groupe et se présentait au commandant Thorn.

Il y eut un bref échange de saluts, puis Thorn se tourna vers les astronautes.

— Messieurs, dit-il, je vous présente le capitaine-major Cora Perkins, des Forces Spatiales de l’Intérieur.

Il y eut un instant de flottement dans le petit groupe, cependant que Thorn achevait les présentations d’une voix mécanique. Seymour accusa son nom d’un coup de talons nerveux, puis fit deux pas dans la direction de Thorn.

— Mais, commandant…, le capitaine-major est une femme !

— Tous les dictionnaires humains désignent en effet la femelle de l’homme par cette simple appellation, lieutenant, répondit Thorn avec une pointe de malice.

— Mais, commandant, jamais encore une femme n’a franchi le seuil de mon…

  — Voyez-vous un inconvénient à ce changement de programme ? coupa le major Perkins avec un léger sourire.

— Euh…, non…, capitaine-major, mais…

— Mais ? Seymour se gratta le front.

— L’Aristote n’est pas équipé pour une présence féminine. Nous ne possédons pas de cabine réglementaire pour ce genre de…

— Rassurez-vous, lieutenant, je m’adapte très bien aux circonstances, et je n’en suis pas à mon premier voyage. Oubliez seulement que je suis une femme. A cette condition, je ne pense pas que la discipline du bord ait à en souffrir le moins du monde.

— Eh bien !…, il faut tout de même vous dire que notre discipline est un peu spéciale.

— Tiens, par exemple !

— Mes hommes sont de vieux bourlingueurs et je crains seulement que nos vieilles habitudes…

— Oui, c’est cela, renchérit O’Connor en venant au secours de son chef. Nous sommes de vieilles badernes mal éduquées. Nous sommes la honte de l’espèce humaine depuis Adam.

— Et nous nous chamaillons pour la moindre peccadille, appuya Peter Mervin.

— Une vraie ménagerie, capitaine-major, ajouta Spencer en grinçant des dents.

Le visage de la jeune femme s’était durci subitement.

— Cela suffit, messieurs, trancha-t-elle. Garde à vous !

Les claquements de talons éclatèrent dans la salle avec un synchronisme parfait. Un silence régna, puis le capitaine-major regarda à tour de rôle les cinq gaillards qu’elle venait de changer en statues humaines.

— Pour votre gouverne, sachez que je viens de passer deux années comme médecin-chef dans un camp disciplinaire du quatrième secteur, dit-elle en martelant ses mots.

Puis le sourire revint sur ses lèvres et elle pivota d’un bloc vers le commandant Thorn qui n’avait pas bronché.

— Rien de grave, reprit-elle, ce n’était qu’une petite mise au point. Mais je vous en prie, commandant, vous pouvez continuer.

Thorn toussota entre ses dents, évita le regard furieux de Seymour, puis revint vers la grande carte murale.

L'enfer dans le ciel
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